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La fête du 8 mars à Kinkala, sa satisfaction sincère et les interrogations qu’elle n’a pas manqué de susciter

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Dieudonné Nganga.

Le 8 mars 2024, c’est la journée internationale des femmes. Au Congo, notre beau pays, le gouvernement avait donné rendez-vous aux femmes, à Kinkala, commune et chef-lieu du Département du Pool. Le déplacement de la République à Kinkala m’a procuré des sentiments mitigés. D’abord, on ne peut s’empêcher d’exprimer une satisfaction sincère pour le bon déroulement des festivités. La journée des femmes ne pouvait être célébrée autrement que dans un esprit d’union nationale et de paix véritable. Les populations du Pool, fidèles au «kimuntu» et au «lumburu», valeurs cardinales des peuples koongo et téké, a, une fois de plus, prouvé son attachement à la paix, même si celle-ci est vernissée. Ce peuple connaît l’importance de la paix, puisque son existence et sa vision ontologique en déterminent le comportement. Ces valeurs s’incarnent dans une éthique qui se résume dans le concept du «kimuntu» et du «lumburu», c’est-à-dire l’humanisme.

Les sages du Pool ont toujours promu cette éthique. Pour illustrer ce principe du «kimuntu» ou du «lumburu», de rapporter brièvement un fait révélé dans une tragédie réellement vécue. C’était en mars 1977, lors de la messe des obsèques du Cardinal Emile Biayenda. Il y eut un instant de tumulte pendant la cérémonie funéraire, lorsqu’arriva la délégation représentant la junte militaire au pouvoir, qui s’était appelée «Comité militaire du parti» (C.m.p). C’était une réaction spontanée, généralisée et compréhensible de l’assemblée. Elle reflétait l’indignation de les voir arriver pour rendre un dernier hommage au Cardinal Emile Biayenda. Le célébrant principal de la cérémonie, Mgr Louis Badila, dans un élan réprobateur, lança une remarque incisive à l’assemblée, en disant en koongo: «Kio ni kimuntu kio?» (Est-ce de la dignité?). Ce fut une parole de sagesse qui eut pour effet de rappeler l’importance de la paix, même dans les conditions tragiques.
La fête du 8 mars à Kinkala était donc belle, surtout que nos mamans, sœurs et épouses, qui y avaient défilé étaient, comme l’avaient chanté notre compatriote Franklin Boukaka, drapées dans leurs pagnes multicolores. Nos mamans, épouses et sœurs symbolisaient la joie d’être honorées et respectées, elles qui, lors des événements malheureux de 1998, étaient violées et déshonorées. Elles symbolisaient aussi la paix, véritable aspiration profonde des populations du Pool, devant transcender les machinations politiques qui maintiennent au-dessus de ce département, une épée de Damoclès prête à s’abattre sur lui, dès les premières revendications pour un bien-être. Les actions politiques que l’on voit s’accomplir au Congo aujourd’hui ne sont pas à la hauteur des aspirations de paix qu’exprime le peuple congolais. De telles actions ne révèlent rien d’autre que la précarité en termes de paix, de développement social et économique et de justice.

Célébrer la joie d’être mères
Pourtant, à travers la fête du 8 mars, nos mamans, nos sœurs et nos épouses célèbrent leur joie d’être mères et femmes, «l’avenir de l’homme», comme l’avait chanté Aragon, lequel homme est appelé à transformer notre pays, le Congo, aux multiples visages ethniques conglomérés par l’intérêt colonial en une structure géopolitique bâtie autour de l’intérêt unique du développement social et économique de tous ceux qui la constituent, malgré la diversité qui les caractérise. Aucun parti politique, aucun département, aucun district, aucune tribu ou ethnie, aucun chef politique ne peut se l’approprier.
L’événement que rappelle cette célébration doit s’inscrire de façon positive dans la mémoire collective. Il est positif en tant que fait avéré s’affirmant dans l’histoire et établissant les conditions d’existence du pays dans le concert des Nations. Il place les dirigeants du pays ainsi que tout le peuple congolais, face à leur responsabilité historique qui est celle du développement et la poursuite du bien-être de toute la population, sans exception, suivant les valeurs d’unité, de travail et de progrès. Il soumet à ses exigences d’édification, toutes les couches sociales et toutes les générations. Comme il insinue un rejet des comportements barbares qui, au cours de l’histoire, ont contredit l’idée de Nation et qui, par conséquent, ont détruit l’harmonie, la paix et l’union nationales, au profit des intérêts personnels et claniques et pour le seul but de la conquête ou du maintien du pouvoir coûte-que-coûte.

Au-delà de la fête, des interrogations

En dépit de la satisfaction sincère exprimée, la fête du 8 mars n’a pas manqué de susciter des interrogations sur l’avenir du Congo. Une fête aussi particulière que celle du 8 mars présente toujours des opportunités d’affirmer une volonté de bâtir l’édifice national. Pour le Congo, il s’agit de construire une Nation déchirée. L’urgence est donc dans l’effort de réconcilier véritablement ceux qui sont à la tête du pays, accompagnés de leurs thuriféraires, et les familles qui ont été humiliées, violentées et ayant perdu des membres et des biens. Passer sous silence cette exigence de réconciliation, en prétendant que la seule présence aux festivités dans un département meurtri et dont les femmes ont été victimes de violences sexuelles, de viols incestueux et de harcèlements sexuels suffit, n’équivaut qu’à mener la politique de l’autruche. En outre, s’entourer de thuriféraires de ce département, pour faire croire à une intégration n’est qu’illusion.
Puisque les dirigeants congolais ont besoin de vivre dans cette illusion et de l’étendre à travers la Nation, ce n’est pas étonnant que l’on puisse voir honteusement des laudateurs et autres thuriféraires encenser nos autorités. Cela n’est qu’emblématique d’une situation générale qui prouve que de nombreux cadres du Pool en général et les leaders politiques en particulier ont perdu de leur dignité et ont assisté sans réagir à la descente aux enfers de leur département qui était, jusque-là, la locomotive du Congo.
On est bien loin des vertus et du courage de ces mères indignées qui avaient demandé à nos autorités pourquoi il y avait eu toutes ces violences contre les paisibles populations du Pool, le 18 décembre 1998 et les années qui ont suivi? Le problème pour les dirigeants, c’est qu’ils croient convaincre par une intégration non crédible. Ce sont eux qui s’illusionnent, en croyant faire vivre la population dans l’illusion. Ils oublient qu’ils se trompent sur l’intelligence des populations. Celles-ci ne sont pas dupes. Elles savent bien qu’un thuriféraire n’est rien d’autre que cela. Son rôle consiste à encenser le chef, à acquiescer à tous les désirs de ceux qui le dominent. «Tout flatteur ne vit-il pas aux dépens de celui qui l’écoute?». L’on n’oublie souvent que les coups d’encensoir peuvent faire mal à la tête.

La priorité aux problèmes de développement

La réconciliation tant souhaitée n’est pas le résultat d’une prétendue intégration politique manipulée. Elle ne provient pas non plus de l’adhésion de certains politiciens affamés aux idées de ceux qui dominent l’espace politique. Cette adhésion n’indique que le besoin de satisfaire les intérêts personnels. Dans ce contexte et en observant la marginalisation intentionnelle que connaît le Pool, il y a lieu de se demander pourquoi la classe politique qui s’est déplacée pour aller célébrer la fête du 8 mars, a ignoré d’acheter les denrées alimentaires des paysannes du Pool, récoltées à la sueur du front, en raison de ladite fête et lesquelles denrées ont ipso facto été amassées aux environs de Ngambari où elles ont pourri, au vu et au su de tout le monde?
Notre classe politique est-elle capable de donner, au-delà du faste de la célébration, la priorité aux problèmes de développement qui se posent avec acuité (sécurité, éducation, santé, réhabilitation des routes et de la voie ferrée (le C.f.c.o) et ipso facto au développement économique dans cette région ou dans ce département du Pool où l’on trouve, comme s’il y avait encore la guerre, des check-points ou des brigades de l’armée, comme à Dzoumouna, à Makana, à Koubola, etc? Ce qui empêche nos mamans, nos sœurs et nos épouses à vaquer librement à leurs occupations champêtres. Jusques à quand attendront-elles la brise de liberté qui leur manque? Quand l’Etat retirera-t-illes militaires et les autres hommes armés de la région du Pool traumatisée? Qu’est-il advenu des accords signés à Kinkala, le 23 décembre 2017, il y a plus de six ans et dont l’application devait «permettre de briser les egos, de faire disparaître les stigmates psychologiques et les rancunes nés des actes qui ont pu être commis dans certaines circonstances souvent dictées par les moments critiques du conflit, briser les peurs, bref la haine qui serait installée dans les cours et les esprits»? Qu’en est-il des rumeurs selon lesquelles des Rwandais se seraient installés dans le District de Mindouli? Ce qui ne serait pas apprécié par les paisibles populations et les combattants reconvertis du pasteur Ntoumi qui demandent carrément leur départ dudit district.
Si de cette classe politique il est impossible d’obtenir un engagement pour une réconciliation profonde et pour le développement de tous, il est d’autant plus aléatoire d’espérer que cette réconciliation se concrétise dans une attitude d’humilité traduite par une demande de pardon aux populations qui ont été traumatisées. Une fête du 8 Mars qui symbolise le combat de la femme pour ses droits et pour sa dignité, aurait pu être l’occasion d’une ouverture dans le sens du pardon. J’ai peur que le déplacement à Kinkala n’ait été la fête où les Autorités et les victimes d’hier, qui, désabusées ou résignées, se soient contentées d’afficher à l’endroit de leurs hôtes d’un jour, des sourires timides voire figés et hypocrites. Enfin, les populations du Pool se seraient-elles laissées se métamorphoser, à travers la promotion de la lâcheté, du clientélisme et à l’achat des consciences, en paillasson ou en strapontin, ou enfin carrément en un peuple veule?

Pour une paix pérenne dans le Pool

Oui, la paix pérenne dans le Pool est possible. En ma qualité de fils du Pool et de citoyen congolais, j’y crois. A condition que les uns et les autres, nous donnions la priorité au Pool et ipso facto au Congo, en oubliant nos privilèges et autres avantages acquis. Ce n’est que grâce à la paix, à la paix véritable, à la paix non vernissée que le Pool redeviendra la locomotive et l’un des greniers du Congo.
Sous d’autres cieux, l’on dit que lorsque les haines ont éclaté, les réconciliations sont fausses. Je n’ose y croire, car pour les fils et filles du Pool, dont certaines de nos vertus cardinales sont le «kimuntu» et le «lumburu», pardonner est une action plus noble que celle de se venger. C’est pourquoi, avec Mgr Anatole Milandou, premier évêque de Kinkala et archevêque émérite de Brazzaville, j’affirme: «Cessons nos égoïsmes et l’orgueil qui tuent en nous l’esprit de pauvreté et d’humilité; faisons disparaître les jalousies qui nous empêchent de reconnaître nos frères et sœurs, pour que soient bannies nos rancunes qui retardent la paix entre nous». Courage à nos mamans, sœurs et épouses et que chaque jour soit pour elles une fête du 8 mars. Car, «femmes, c’est vous qui tenez entre vos mains, le salut du monde», dixit Léon Tolstoï, écrivain russe.

Dieudonné
ANTOINE-GANGA

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