G.o.c.b (Grand Orient du Congo-Brazzaville) : Témoignage de Dieudonné Antoine-Ganga sur Yves Jégou

Avant de se rendre à Oyo, où se sont tenues les Rehfram (Rencontres humanistes et fraternelles africaines et malgaches) de cette année, Georges Sérignac a présidé au cimetière du centre-ville de Brazzaville, la cérémonie d’inauguration de la tombe réhabilitée d’Yves Jégou (1830-1912), compagnon de l’explorateur Savorgnan De Brazza et l’un des précurseurs de la franc-maçonnerie au Congo. Dans l’évocation qu’il a faite de l’illustre disparu, dans une deuxième séquence qui s’est déroulée dans à l’Hôtel La Grande cascade, vers le Palais de justice, Dieudonné Antoine-Ganga a demandé que les «quelques sites et monuments maçonniques, dont les monuments Victor Schoelcher et Félix Eboué» qui sont dans la ville soient réhabilités et entretenus.

Nous voici tous rassemblés pour honorer la mémoire de notre frère, Yves Jégou, passé à l’Orient éternel, en 1912, il y a 111 ans, c’est-à-dire un siècle et 11 ans. Il a bien voulu nous léguer sa tombe sur laquelle est gravée l’épitaphe sur laquelle l’on peut lire: «Ma conscience est ma règle. Mon cœur est ma loi. Je n’ai plus besoin d’un Dieu qu’Il n’a besoin de moi.Cette tombe est placée sous la protection des Congolais Inséparables du Progrès et de tous les Hommes Libres».
«Ce moment précis me rappelle ces phrases prononcées par tout vénérable maître, lors de la formation de la chaîne d’union: «…Cette chaîne nous lie dans le temps comme dans l’espace. Elle nous vient du passé et tend vers l’avenir. Par elle, nous sommes rattachés à la lignée de nos ancêtres, nos maîtres vénérés qui la formaient hier…». Notre frère Yves Jegou est, justement, l’un de nos maîtres vénérés qui la formaient hier.
A notre frère Yves Jégou, je me permettrais de dire, au nom de nous tous rassemblés ici, à lui qui a bien voulu laisser à notre protection, sa tombe qui est sa dernière demeure dans cette terre congolaise, cette tombe qui, comme le dit le rituel, «l’enveloppe et symbolise, avec la force et la beauté, la sagesse qu’il s’est efforcé d’approcher».
Mon Très cher frère Yves Jégou, nous te remercions fraternellement pour ce legs. Quel symbole de fraternité! Oui, cette fraternité dont a fait montre la Fondation du Grand Orient de France dont la contribution a aidé à la réhabilitation de cette tombe que nos parents, de surcroît profanes, nous interdisaient de regarder ou de lorgner, parce qu’à les en croire, elle était la tombe d’un franc-maçon, une tombe autour de laquelle ont été échafaudés moult légendes et mythes.
Merci Sérénissime grand maître et vous tous, les très chers frères du Grand Orient de France, qui l’accompagnez par votre présence et pour votre présence parmi nous. Comme nous remercions également le TIF Joseph Badila, membre du Supreme conseil du Grand Orient du Congo-Brazzaville (G.o.c.b) qui a eu l’idée lumineuse et l’initiative de soumettre à la Fondation du Grand Orient de France, au nom de notre Association pour la protection du patrimoine architectural en Afrique centrale, le projet de restauration et de réhabilitation de cette tombe. Grace aux efforts de vous tous, ce projet a abouti. Néanmoins, Brazzaville abrite quelques sites et monuments maçonniques, dont les monuments Victor Schoelcher et Félix Eboué qu’il nous faudra réhabiliter et entretenir. Nous en avons la charge.
Je reviens à la pierre tombale de notre très cher frère Yves Jégou. Quoique sobre, elle a subi les modifications suivantes: sa partie inférieure est faite de sable blanc et sa partie supérieure faite de ciment blanc et de gravier très fin qui fait ressortir un teint brun. Quant à toi, notre très cher frère Yves Jégou, je voudrais, pour terminer, paraphraser Charles Péguy pour te dire que «la mort n’est rien. Tu es seulement passé dans la pièce d’à côté. Nous continuons à rire de ce qui nous faisait rire ensemble. Nous pensons à toi. Nous prononcerons toujours ton nom, partout, comme il a toujours été, sans emphase d’aucune sorte, sans une trace d’ombre. La vie signifie ce qu’elle a toujours été. Le fil n’est pas coupé. Pourquoi serais-tu hors de nos pensées, simplement parce que tu es hors de notre vue? Tu n’es pas loin, juste de l’autre côté du chemin».
Aujourd’hui, tu es l’un de ces anneaux qui manquent dans notre chaîne d’union; tu n’es plus que cendre, mais ton souvenir est impérissable dans nos cœurs. Car, la chaîne d’union évoque symboliquement la fraternité et la solidarité entre les francs-maçons. Nous, francs-maçons congolais, te promettons de toujours protéger ta tombe et de l’entretenir.
Mon très cher frère Yves Jégou, je me permettrais encore d’ajouter aussi que tu étais, avec tes qualités et tes défauts, un bâtisseur et toujours à l’écoute des autres. Fils de tailleur de pierre, tu as évolué en devenant toi-même, un tailleur symbolique de pierre tout au long de ta trajectoire initiatique au cours de laquelle, en bon franc-maçon, tu n’as cessé de tailler, polir, affiner la pierre brute, comme nous le recommande le rituel. Nul n’est besoin de nous rappeler que c’est par la pierre que les civilisations anciennes, et parfois les plus lointaines, nous ont transmis leur savoir et les acquis de leur temps.
Enfin, tu as été celui qui a pu lier le voyage symbolique au voyage profane. Tu as été, au long de ta trajectoire maçonnique qui a duré ta vie entière, le Franc-Maçon qui a erré tel un nomade sur les chemins du Savoir et de la Connaissance tant des hommes que de toi-même, de la France via la Réunion et le Congo d’où tu as rejoint l’Orient éternel et où ton souvenir restera gravé et impérissable dans nos cœurs. Tu nous as laissé un riche héritage, notamment l’amour pour nos pays, pour nos peuples et pour notre grande famille, la franc-maçonnerie ainsi que le sens du devoir et la glorification du travail; l’humilité et le respect de tout être humain. Enfin, j’émets le vœu fraternel suivant: voir les frères allumer sur ta tombe, chaque fois qu’ils iront s’y recueillir, trois flambeaux dont la flamme devra toujours rayonner dans nos temples où nous travaillons et dans nos corps qui sont aussi nos temples respectifs. Repose en paix, notre très cher frère Yves Jégou!
Sérénissime grand maître et vous tous, mes frères et sœurs en vos grades et qualités, gémissons, gémissons, gémissons et espérons. J’ai dit».